La guerre m'a chassé de ma Lorraine natale.
Et j'ai marché, longtemps, en Dauphiné et ailleurs.

A la rencontre de l'olivier.
L'arbre nourricier millénaire, dont les ramures symbolisent la paix.

   
 
 
 
 

 

Avant – propos

80 ans …

C'est un âge respectable et redoutable pour celui qui l'atteint.
C'est l'âge où les « neurones » prennent congé, plus ou moins vite.
C'est aussi le début du 5ème âge, celui où tout un chacun doit préparer sa sortie de scène.

Il convient tout à fait pour jeter un regard sur ce qui s'est passé dans votre vie, heurs et malheurs confondus.

Ce récit n'est pas dicté par une vaine gloriole. Ce serait tout à fait mal venu.
Non, cela s'est tout simplement passé comme cela ; sans plus.

Nous ne sommes pas « poussière ».

Mon espoir c'est que chacun en tirera la conviction qu'il ne faut « jamais baisser les bras », comme l'a si joliment chanté Pierre Bachelet.

 

***

   
 
 
 
Lucie au sanatorium
 

 

Que dire de mon enfance ?

Nous habitions Waldwisse (Moselle) où je suis né, dans une mesure louée au boucher du coin. Mon père était ouvrier boulanger à la coopérative de Wendel, le maître des Forges qui possédait tout, ou presque, dans cette région.

Son lieu de travail étant éloigné de trente kilomètres environ de Waldwisse, il était absent la plupart du temps et ne rentrait qu'à l'occasion de congés ou de weekend prolongés. C'est donc ma mère qui assurait le quotidien avec un budget vraiment serré. Quatre bouches à nourrir : mon frère aîné, Charles Edouard (Edi dans la vie courante), ma sœur Lucie, Jeanne, et moi-même, le plus jeune.
Je me souviens très bien qu'elle allait piocher les betteraves chez un paysan voisin pour le repas de midi et quelques denrées comestibles qu'elle ramenait pour nous nourrir.
En 1933 nous avons pu nous rapprocher du lieu de travail de mon père, et nous installer à Marspich (village aujourd'hui intégré à la commune de Hayange). La situation est devenue un peu meilleure pour la simple raison que mon père pouvait rentrer après son travail et ne payait plus de pension.
C'est en 1934 ou 1935 que Lucie, ma sœur aînée, est tombée malade. Elle avait fait des études primaires brillantes et réussi son certificat d'études primaires, (bilingue français-allemand) avec mention « très bien », première du canton de Sierck. Nous étions tous très fiers d'elle.
Son prix d'excellence était un livre de collection intitulé « Océola guerrier séminole ». Je cite ce titre de mémoire car je n'ai jamais pu le retrouver. Il a bercé mon adolescence et il ne faut pas chercher ailleurs les raisons pour lesquelles j'aime tant utiliser les mots Tribu et Grand Sachem.

Lucie avait été placée en maison bourgeoise car il ne pouvait pas être question de ne pas travailler. Elle est tombée malade chez ses employeurs, tuberculose. On ne savait pas encore soigner cette maladie dans les années 30 et elle est morte en 1937.
J'étais à côté de ma mère lorsqu'elle rendu le dernier soupir, j'avais 14 ans.

J'ai quitté le giron familial à mon tour quelques semaines après ma scolarité. Mes parents, par manque de ressources sans doute, n'ont pu me permettre de faire des études secondaires comme le souhaitait mon instituteur, Monsieur Henry.
Je serai donc boulanger, comme mon père et suis entré en apprentissage chez Monsieur Jung Ferdinand, à Seremange (Moselle).
Après un an d'essai et deux années de formation pratique, j'ai subi avec succès les épreuves du C.A.P en 1940, j'avais 17 ans.
Le document qui m'a été délivré était rédigé dans la langue de Goethe, car nous étions devenus citoyens Allemands, de facto (nous y reviendrons). Je n'ai pu supporter cela, d'autant moins qu'il était « orné » d'un sceau au centre duquel s'étalait une énorme Croix Gammée.


L'horreur


J'ai déchiré ce document en 1945. Dommage... aujourd'hui ce serait une « archive » inhabituelle. Cela n'enlève rien au fait que j'ai obtenu de C.A.P d'ouvrier boulanger ce qui normalement devait sceller mon destin sur le plan professionnel.
La guerre 1939-1945 est passée par là et en a décidé autrement.

 

***

   
 
 
 
Mes grands-parents maternels
 
Anna-Maria et Anton Philipp
 

 

J'étais encore en apprentissage en 1939 lorsque la guerre et la mobilisation générale furent déclarées.
C'est à Ottange, en juin 1940, que j'ai subi le baptême des armes, vu pour la première fois un soldat tué d'une balle en plein front. L'Allemagne venait de lancer son offensive sur la Moselle en passant par le Luxembourg ce qui nous a jetés sur les routes, sous les « piqués », oh combien bruyants, des Stukas allemands.
Je n'avais pas loin pour aller rejoindre le domicile familial à Marspich et, tout naturellement, la boulangerie Jling à Seremange pour y travailler à nouveau.
Il faut croire que mon apprentissage n'était pas terminé car pendant quelques semaines l'absence de courant électrique nous a obligées à réapprendre le pétrissage à la main, sans levure et sans sel. Le résultat n'était pas des plus brillant mais pourtant, dès l'aube, une queue se formait pour acheter ce pain que personne aujourd'hui ne voudrait sur sa table. La faim rôdait par là. Elle commande et fait accepter bien des choses.
La fée électricité revenue j'ai été embauché à Blidange chez Monsieur Welsh, où j'ai appris les rigueurs de l'occupation allemande. Les rues, les noms des commerces, les noms même des communes « germanisés » me devenaient étrangers. Le port du béret, décrété coiffure Française, très mal vu. On m'en a volé trois et je dois avouer qu'ils l'ont été par des jeunes Mosellans entrés dans les Jeunesses Hitlériennes. La honte.
Plusieurs fois chargé de porter à l'administration les tickets de pain dûment collés sur de grandes feuilles, je me suis vu mettre à la porte parce qu'en entrant je disais « bonjour » et non « Heil Hitler ». J'avais un peu plus de 17 ans.

Blessé à la main j'ai dû quitter cet emploi et me suis vu affecter d'office à la boulangerie Heil de Basse Yutz. Ce nom pour un collaborateur était vraiment prédestiné. Une nuit, il voulait sans doute sonder mon état d'esprit, une vive discussion nous a opposés et je suis parti, sur le champ. Non je n'étais pas pour les allemands.
Dénoncé par Heil à l'organisme chargé de l'organisation du travail, j'ai été placé chez un boulanger de nationalité Allemande qui s'était vu attribuer la boulangerie d'un français expulsé d'Uckange. Inutile de dire qu'il était vigilant et que j'évitais tout commentaire superflu.
Mes 18 ans approchant, j'ai reçu ma convocation pour une visite d'aptitude à « l'arbeitzdienst », antichambre de la Wehrmacht. J'ai subi cette visite..... déclaré apte. Diable il fallait aviser. Non, je ne servirai pas en Allemagne.
Mes parents, que j'avais informés de mes intentions, m'ont donné leur accord mais mon père, en guise de viatique, me commanda (littéralement) « de ne rien faire dont il puisse avoir à rougir ensuite ».

Message reçu.

Certes nous savions que les Nazis ne seraient pas contents, mais de là à imaginer la répression qu'ils exerceraient, il y avait un pas que nous n'avons pas franchi. Pourtant eux l'ont fait.

 

***

   
   

 

L'intention de partir était claire mais comment procéder ?


J'avais conservé de bonnes relations avec mon patron boulanger de Budange nommé Welsh. Il a pu me conseiller un passage par Moyeuvre-Grande en Moselle « annexée » et ménager une rencontre avec un premier passeur sur une place de ce village devenu frontière avec la Meurthe et Moselle « occupée » mais restée Française.
Muni d'un petit bagage et d'un mini viatique me voilà parti. C'était le 20 janvier 1942. Mon passeur de Moyeuvre était au rendez-vous et il m'a guidé par des chemins à travers champs et forêts jusqu'à proximité de la « frontière et indiqué la direction de Joeuf.

Première étape, l'hôpital de Joeuf.


Que dire de ce premier bon, sinon que je me suis mis à courir dans la direction indiquée, tant et si bien que j'ai heurté un grillage et que dans l'élan je me suis retrouvé de l'autre côté, me relevant en Meurthe et Moselle après une bûche magistrale.
Des passants m'ont indiqué la direction de l'hôpital où je suis arrivé en fin d'après-midi.
Une sœur, sœur Élisabeth sans doute, (directrice de l'hôpital Sœur Eustache), me conduisit à la chaufferie où je passai la nuit, nourri et couvert. Je ne suis pas resté seul bien longtemps. Six prisonniers de guerre en cours d'évasion et deux camarades Lorrains fuyant comme moi m'ont rejoint.
Le lendemain, nous avons quitté l'hôpital de Joeuf guidés jusqu'en gare d'Homecourt par trois dames que nous suivions, trois par trois, à quinze vingt mètres de distance, en les identifiant par leur chapeau de couleur différente (vert pour ce qui me concerne). Il s'agit sans doute, je l'ai appris en 1996, de Primot Lucie, Milandr Yolande et Cremel Marie-Thérèse.

A Homecourt on nous remit à chacun un billet pour Jarny (Meurthe et Moselle), nous n'avons pas revu nos trois guides.
Dans le wagon, une main se pose sur mon épaule et j'entends : « Alors on se fait la belle !?! ». Je vous laisse deviner ma stupeur et mon effroi. L'homme qui me parlait portait la casquette des Chemins de Fer et veillait sur nous. Il était décontracté lui, beaucoup plus que nous.
La nuit était tombée à notre arrivée à Jarny et nous avons été conduits dans une maison pour une courte nuit. Là encore après visite sur place en 1996, je pense qu'il s'agit de M.Bonino ou de Mgnemmi.
Vers quatre heures, réveil, en route vers la gare (importante) de triage où un wagon à bestiaux vide nous a accueilli. Formidables cheminots. Dès lors c'est d'eux que dépendait notre sort. Il était entre de bonnes mains.
Le train s'est mis en mouvement, en avant, en arrière, pour la formation du convoi.
C'est pendant les heures qui ont suivi que j'ai pris conscience du froid. Il était intense dans ce wagon dont la porte était fermée, certes, mais où l'air circulait quasi librement. Qu'à cela ne tienne, une ronde effrénée nous apportait le réconfort et nous aidait à faire face, avec il faut bien le dire, de temps à autre, une rasade d'eau de vie qu'un ami charitable avait donnée à l'un des prisonniers.
Par contre à chaque arrêt, immobilité absolue. Les prisonniers de guerre étaient particulièrement tendus. Certains en étaient à la troisième tentative d'évasion et étaient décidés à défendre leur liberté. L'un d'entre-eux ouvrait à chaque arrêt un impressionnant couteau et se plaçait à proximité de la porte.

Que se serait-il passé en cas d'intrusion ?


Dans la nuit du 22 au 23 janvier, arrêt dans une autre gare de triage? Des cheminots, nos anges gardiens, nous ont conduits dans un autre wagon, chargé de sacs de soude (?) avant le passage de la ligne de démarcation séparant zone occupée de la zone libre. Nous nous sommes entassés sur ces sacs, à proximité des ouvertures d'aération. Peu avant la fermeture du wagon une famille juive (le père, la mère et un jeune enfant) ont pris place avec nous.
Porte fermée, plombée, nous voilà partis pour ce contrôle dont on nous avait dit qu'il était long et méticuleux.
Interdiction formelle de faire le moindre bruit, de tousser - ce qui n'était pas facile avec les poussières de soude – de bouger pendant toute la durée de l'arrêt.
Cela a duré environ une demi-heure et nous avons pu entendre les voix teutonnes, le bruit des portes de wagon ouvertes et refermées, notre verrou vérifié puis abandonnée fermé à la vue du plombage.
Enfin le train est reparti.
La maman juive qui avait bâillonné son bébé avec une serviette s'est alors occupée de le faire réagir. Il était inerte au début puis, divine surprise, s'est mis à pleurer.
Le 23 en fin de journée, nous sommes arrivés à Lyon Vaise. Les cheminots avaient livré leurs « colis ». Notre groupe s'est séparé. Les prisonniers d'un côté, la famille juive je ne sais où, et nous, les Mosellans désormais libres, au Centre la Scaronne où nous nous sommes endormis après enregistrement de notre arrivée.

 

***

   
   

Arrivé à Lyon, que faire ?

Sans famille ni amis qui auraient pu m'accueillir ou me conseiller, j'étais plutôt désemparé, heureux d'avoir réussi mais un peu perdu.
Il faut se souvenir que mes parents étaient pauvres et que l'argent que m'avait remis ma mère avant mon départ était forcément d'un montant peu élevé.
Rien de mieux à faire que de contracter un engagement volontaire de trois ans dans un régiment caserné au Fort Lamothe.

Le caporal Schutz Charles, originaire de Montigny Les Metz m'a amené à la caserne le 24 janvier 1942 dans la matinée.
Le soir, sans pouvoir avaler quoi que ce soit, je me suis endormi jusqu'au lendemain soir.
C'est le médecin Major qui m'a réveillé car mes nouveaux camarades étaient inquiets.

« Laissez le dormir »

Le lendemain matin, j'étais d'attaque mais affamé.
Je me suis engagé au 153ème Régiment d'Infanterie Alpine pour trois ans. Le drapeau Français flottait au mat... de la cour d'honneur.

Nous étions nombreux Alsaciens ou Mosellans dans cette unité, à tel point que des livrets militaires sous une identité d'emprunt avaient été établis par nos chefs pour nous soustraire aux contrôles effectués par les allemands en application des accords d'Armistice.

Début novembre 1942, la zone « libre » était occupée par les allemands et l'Armée d'Armistice dissoute.
Une nouvelle fois, il m'a fallu fuir et chercher un refuge.

 

***

   
 
 
 
Mes parents, Angèle et Frédéric Staeger
   
   
   
   
   
   
 
 
Retour de déportation...
 

 

J'avais fait, en septembre 1942, la connaissance de Georges Nivollet dit « pain cuit », boulanger à Marcilloles (Isère). Il m'avait offert de le remplacer au fournil pendant qu'il allait à la chasse... sa passion. C'était inespéré, pour occuper mes trente jours de permission parce-qu'en ces temps de restrictions alimentaires, surtout à Lyon, nous avions faim en permanence.
C'était le seul point de chute possible et je m'y suis rendu transporté par des hommes secourables qui sont restés inconnus.

« Pain cuit » ne pouvait m'employer en permanence (pas assez de travail). Il m'a trouvé un emploi de domestique de ferme, où je suis resté un an (1943).
Et puis en octobre de cette année là, la chance a bien voulu me sourire, le « mitron » devenu « caporal » a été accueilli par la « Gendarmerie Nationale » sous sa véritable identité.

Elle a fait de moi, au terme de trente ans de carrière, un Capitaine admis à faire valoir ses droits à la retraite en 1973, puis Chef d'Escadron Honoraire au moment de sa radiation des Cadres de l'Armée par limite d'âge.

Au début l'aventure avait été plaisante, en quelque sorte, malgré quelques frayeurs et émotions.

Mais la sanction allait tomber, inexorable.

En mai 1942, mes parents, mon frère et mes deux sœurs, Jeanne et Germaine âgée à l'époque de neuf ans à peine, ont été appréhendés, chargés dans un wagon de marchandises et déportés en raison de mon évasion, déclarés « indignes d'habiter dans un département frontalier ».

Mes remords et mon chagrin lorsque la nouvelle m'est parvenue en juillet 1942, ont été intenses comme on peut l'imaginer.

J'étais prêt à repartir en Moselle pour les faire rentrer chez eux...

Les amis qui m'entouraient et le Capitaine qui commandait ma Compagnie ont eu beaucoup de mal à me faire comprendre que ce n'était pas la bonne solution.

Je suis resté.

Pendant trois années ma famille a été trimballée d'un camp de travail à l'autre, Linz (Autriche), Erfurt puis Cassel (Allemagne).
Certes, ils n'ont pas été exterminés, mais l'obligation au travail, la vie au camp dans des baraquements de 45 personnes, étaient les contraintes quotidiennes de même que les bombardements alliés, en 1945 sur Cassel.

Ils sont rentrés en 1945, malades mais vivants et j'ai pu les serrer dans mes bras, le cauchemar terminé en septembre 1945.

 

***

   
 
Quatres amis en 1943/1944
 
 
Léon Moine, Gilbert Gatelet (expulsé d'Alsace), Jean Pflieger (expulsé de Moselle), Moi (20 ans)
 

 

J'ai appris en 1996, le prix payé par les passeurs de Joeuf qui ont permis mon évasion.
L'excellent livre de l'abbé Pierre François relate comment le réseau de passeurs de Joeuf a été démantelé.
Un traitre, nommé Selzer, originaire de Thionville, partisan des nazis, les a trahis après s'être « évadé » pour identifier les passeurs.
Lamentable trahison. La justice est passée et l'a condamné à mort. Sentence exécutée.
Il n'empêche que vingt six personnes ont été arrêtées par sa faute, huit sont mortes dans les camps d'extermination ou en cours de transferts.
Saurons-nous rendre à ces hommes et à ces femmes, si courageux dans leurs actes, l'hommage qui leur est dû.
Sans doute pas assez.
En tous cas ils ont livré le bon combat, il faut le rappeler.

Je ne connaissais le nom d'aucune des personnes dont j'ai parlé dans ce récit. La discrétion était de règle, même entre compagnons d'évasion.
Un regret lancinant, celui de ne pas avoir fait le pèlerinage de Joeuf à Jarny à temps pour rencontrer les survivants, rentrés chez eux après la défaite des envahisseurs nazis. J'aurais pu leur dire merci de vive voix, regarder leurs visages de braves français, ayant agi sans rien réclamer en échange, pas un centime, pour l'amour des frères humains que nous ne devrions jamais cesser d'être.

Adolf Hitler et ses sbires voulaient faire de nous des « Reichsgenossen », traduisez « Compagnons du Reilch Allemand ». C'était sans compter sur notre refus et sur les Passeurs de l'Orne.

 

***

   
   

 

Au Fort Lamothe, soldat engagé, j'ai appris discipline et efforts physiques sur fond de restrictions alimentaires mais je me suis fixé un but : « Me préparer au combat qui, un jour ou l'autre, nous opposerait aux forces armées du Reich, pour les chasser de chez nous ».

Mon premier grade après un peloton « sérieux et musclé » :

Caporal, le 24 novembre 1942
153 – RIA – Fort Lamothe – Lyon

Trois jours avant la dissolution de l'armée d'armistice.

Retour à Marcilloles, chez Nivollet d'abord, Clément, agriculteur, puis Poncet, laitier, qui m'ont permis de survivre, sans salaire mais avec gîte et couvert.
C'est ainsi que je suis arrivé dans ce village, dont les habitants ont accueilli sans problème l'étranger que j'étais alors.
Toujours recherché par les Allemands, omniprésents en zone libre, même dans les campagnes, ma vie pendant toute l'année 1943 a été discrète.

Un jour d'ailleurs, j'ai eu la peur de ma vie.
Ce jour là, le Maire du village, Monsieur Mogniat, avait un problème avec un détachement « schleuh ».
Il n'a rien trouvé de mieux que de m'appeler pour servir d'interprète.
Imaginez la scène !
Heureusement, le sous-officier commandant le détachement n'a rien deviné... et n'a pas réagi. Ouf !

 

***

   
 
 
 
Henriette
 

 

J'étais immergé dans cette communauté et travaillais, à la manière d'un Lorrain, c'est à dire de toutes mes forces et du mieux que je pouvais.
Et puis, un jour de l'année 1943, j'ai remarqué une jeune fille qui, ma foi, ne me tournait pas le dos.
Elle s'appelait Henriette Girerd-Chanel et travaillait dans une usine de moulinage à Marcilloles..
Son père, Joseph, était cheminot en retraite après un grave accident du travail. Sa mère, Valentine, garde barrière à côté de la gare, ils étaient logés dans la « maisonnette » par la SNCF.

Vous raconter les ruses de sioux que j'ai déployé pour approcher cette jeune fille et sa famille est une entreprise trop ardue.

A cette époque, il fallait avoir une « situation » avant d'être admis à courtiser. Or l'emploi de domestique de ferme ou garçon laitier n'en était pas.
Une fois admis dans la Gendarmerie, j'ai franchi le pas et posé ma candidature au mariage, bien entendu après ma titularisation de Gendarme.

Je suis sorti de cette visite, en « nage » mais avec la permission d'engager une correspondance pendant mon stage.
Chouette non !

 

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Les parents d'Henriette, Joseph et Valentine Girerd Chanel
 
Henriette (debout) et Andrée, sa soeur
 

 

Henriette avait une soeur, Andrée, plus âgée, que la maladie avait frappée très cruellement.
Une polyarthrite déformante avait bloqué la quasi totalité des articulations de son corps et elle souffrait le martyr à chaque mouvement.
Tout effort lui était impossible et il fallait l'aider en permanence y compris pour les actes essentiels de la vie (se vêtir par exemple).

Son mari, Georges Nivollet, l'avait épousée en connaissance de cause et assumait cette situation.
Le corps d'Andrée était dépendant mais pas son esprit. Elle avait une volonté de fer et réussissait même à coudre malgré ses doigts déformés.
J'étais stupéfait de voir Georges "filer" comme on disait alors et encaisser les reproches quand il se montrait maladroit.

Quelle leçon !!!

Ainsi "fonctionnait" la famille dans laquelle j'allais entrer.

Je n'ai jamais eu à le regretter.

   
    (...)  
 
   
 
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